Somniféres.



Je me souviendrai toujours du sentiment que j'ai eu lorsque j'ai pris mon premier somnifère. Etrange et merveilleux, que d'échapper à sa volonté et de réaliser que notre conscience peut tomber sous le joug d'une minuscule pilule blanche. Au moment ou l'on a avalé le cachet, on ressent en soi toute la définition de "condamnation". Même si le sommeil est souhaité, nous sommes conscient qu'il n'est plus seulement question de volonté, mais de l'emprise du chimique sur le vivant. Nous ne sommes plus libre. Cette chose nous contrôle. La première fois, donc, je me suis sentie coupable... et soumise ! Alors j'ai résister à l'emprise du produit. Magique emprise, s'il en est ! Toute ma tête s'engourdissait, des insectes rampant imaginaires se propageait en mon pauvre encéphale. Mais je me résignais. Au bout d'une heure de lutte acharnée -la lutte entre ma volonté et le chimique qui trompait ma conscience- j'ai eu une hallucination. La plus horrible qui soit. Un manège devant mon lit. Il tournait, tournait inlassablement... Et je ne saurai l'exprimer de manière rationnelle mais : ce manège, c'était moi. C'était ma situation de l'époque, du moins. Il faut dire que je n'avais que treize ans. Et les chevaux semblait parcourir des milliers de kilomètres, en vain. Tout se vouait à retourner à l'axe central. Comme ils devaient être malheureux... Une situation qui stagne, un retour au même questionnement, pour autant d'effort. Il etaient captifs. Mais il tournait, encore, toujours plus.

Les somnifères sont incroyables. Magique. Il démontre par a + b au plus vaniteux d'entre nous qu'il n'est, somme toute, que bien peu de chose, qu'un vulgaire sac de  viande soumis à une succession d'hormones. Il tente de mystifier et de glorifier ses petits comportements, alors que tout n'est qu'une question de sécrétion. Tout ce qui constitue sa vie est reconstituable en laboratoire. L'amour, la haine, le désir, le plaisir : tout. Aucune spiritualité. C'est triste. Foutrement triste...
Je pourrai aussi évoquer ma première prise d'anti-dépresseurs. Expérience merveilleuse, là encore. Tout l'anodin devenait sublime. Tout se soldait par le plaisir. Le sommeil et la faim ne m'importunaient plus. La notion d'inaccessible s'était évaporée on ne sait où. C'était un monde merveilleux, ou tout était potenciellement exploitable et profitable, en toute innocence.
Et les anxiolytiques... La magie du lexomil. Mon grand amour, avec la cigarette. Quand l'hémoglobine se fait laiteuse, quand la douceur se fait omniprésente, quand s'opère l'ultime relâchement d'affect à brûle pourpoint... Quand à la surprise succède l'indifférence béate. La peur est englobée d'un épais glaçage rose tendre. La putain de pression dans la colonne vertébrale, à en péter les plombs, quand tout autour de moi vomit le mépris et la condescendance infondée se morcelle et devient néant. Quand tout le monde péte plus haut que son cul, quand moi je plane sur les gaz de leur moeurs constipées.
Il est aisé de se sentir minuscule, impuissant et insignifiant face à ce genre de technologie faussement bienfaitrice. En réalité, que sommes nous ? Nous manipuler est-il si accessible ? Pourquoi servons nous notre propre manipulation ?
Un cachet. Juste un. Et toutes vos perceptions éclatent. Gagne une valeur nouvelle. Ou s'eteignent.
Aujourd'hui, il s'est produite une chose étrange. J'ai pris mon somnifère il y a deux heure et demi. Il y a une heure je mordais mon oreiller pour m'empêcher de hurler mon désir de me libérer de ces pensées assaillant mon esprit en vain, annihilant l'effet des pilules bénites. Me serai-je donc libérée de cette emprise ? Il semblerait. Aucune hallucination en vue. Fort bien, je suis parvenue à dépasser la chimie. Et c'est à cette instant précis que j'ai réalisé que ma condition de détenue me convenait à merveille.


27/04/2010
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