Marie (Ou de la déchéance de Narcisse)



Au loisir de moisir, ô déplaisirs !
Il y a deux ans et demi, alors âgée de quatorze ans, alors troublée par une insomnie, passablement entamée par une inspiration fortuite, j'écrivais Marie. Sans le savoir, je commençais, à voir grandir dans les méandres de mon esprit torturé ce qui, plus tard, deviendrai "De l'humanité des monstres", et que je cloitrerai en haut de mon placard, avant d'être bêtement carbonisée à la suite d'une succession d'événements des plus malheureux et des plus intentionnels...
La première d'un projet, que j'avais eu la présence d'esprit, moi qui prône avec acharnement l'écriture manuscrite, de sauvegarder par informatique. La première qui comme toute les autres, s'est vue réécrites, remaniée, et j'en passe.
Et pourtant, je ne publierai pas le remaniement de celle-ci.
Ce qui a été passé au crible, corrigé, réinventé. Non, je publierai ce qu'on ne voit pas, en règle générale, dans un écrit publié. Mes pléonasmes vous pissent au cul, soit dit en passant.
Ce qui est bancal, pleins de faiblesses et d'imperfection, ce qui est immature, incandescent, mal tourné, autrement dit : l'état natif d'une idée et/ou d'un concept, avant que les formalités viennent le galvauder avec leur esthétique. Ce qui est moche. Foutrement moche. Plus parlant, et plus révélateur. Ce qui est immontrable. Un attentat à la pudeur du bel écrit bien tourné.
Parce que, oui, mon premier monstre, c'était bien elle. Mal retranscrite, mais intacte en mon encéphale. Et garantie sans correction. Intacte, comme au premier jour. Elle est née à quatre heure du matin. Morte une heure plus tard.

"Mon existence entière est basée sur une passion d'une pureté inégalable. Le type de passion viscérale dont on ne peut s'extirper à force de relation sociale, de plaisir ou tout autre forme « d'ailleurs ». Si tant est qu'il en existent qui puissent atteindre ne serait-ce que le centième de gratification que cette dernière me procure.

Le type de passion qui n'auras de cesse que de vous enliser lâchement dans ses marasmes avant la première bouffée d'oxygène que vous avez l'infortune d'inspirer et -chose curieuse- vous garderas de toute lassitude. C'est bien peu dire : je suis fortement tentée de penser qu'elle remplace la vie elle-même. Quelle est donc cette magnificence qui exalte toute mes ardeurs? Moi-même.

Nous gardons tous, de manière plus ou moins assumée, cette part d'amour inconditionnel de nôtre propre personne, et il n'est rien de plus naturel. N'est ce donc pas l'origine de ce que vous autre appelez l'amour? Pourquoi aimez-vous? Pour être aimé. Vous prétendez à une certaine grandeur d'âme? Foutaises! L'amour que vous porterai à cette personne imparfaite ne seras jamais rien de plus que l'appréciation du reflet grandit et flatteur de vous-même que vous renvoie cet autre, qui partage de son côté une même vision de son égo lissée et polie par vos yeux qui contemple amoureusement leur reflet dans les siens.


Mais, moi, je suis meilleure que vous. Pas seulement parce que tout en moi n'évoque que grâce et pureté. J'ai eu l'intelligence, le courage et l'honnêteté pour assumer ouvertement cet incandescente passion pour l'être sublime que je suis, que j'ai toujours été et que je serai éternellement.

Depuis ma plus tendre enfance, j'ai toujours eu l'intime conviction d'être un être exceptionnellement beau, perdu dans un monde de laideur et de médiocrité. J'ai dû, très vite, rationner en tenant pour récompense les longues minutes passées à contempler cette image fantasmagorique devant la vulgaire paroi réfléchissante au cadre trop étroit pour laisser paraître toute l'amplitude de ma splendeur.

Je suppose qu'aucune description physionomique ne me rendrait juste honneur, comme si les lettres de notre riche dialecte ne suffisait pas à décrire cette beauté, absolue. Dans le cadre de mes perceptions, elle est la seule chose que j'ai pu admettre comme absolue. La seule, et la dernière.

Je suis encore vierge. Je n'ai jamais eu de relations, ni de contact physique avec aucun homme. Je doute même d'avoir eu de véritables contact physique avec un être humain en général, je n'ai jamais même vu de médecin, craignant de ce que ces bouchers pourrait faire de ma plastique divine. Et j'ai grandit dans un foyer insalubre, ou seul les rats était susceptible d'empirer le déjà bien piètre état de santé des résidents. Je n'éprouve pas de véritable regret à ce sujet. Juste un certain questionnement sur le contact tactile -même involontaire- entre deux humains, même si je ne suis pas sans savoir qu'aucune peau ne seras jamais aussi douce que la mienne. Mais personne n'auras jamais la chance d'étreindre cette déliquescence ultime. Le saint Graal seras trouvé, cloné et distribué dans toute les résidences avant qu'un être puisse obtenir le plus furtif des baisers de ma part.

Je me dois d'être honnête : aucun d'entre eux ne l'a jamais souhaité. Peut-être est-ce parce que j'ai connu bien peu de personne au cours de mon existence. Je ne sais même pas qui a eu le bonheur de m'enfanter. C'est pourquoi je me plais souvent à penser que je suis une bénédiction arrivée sur terre pour redonner foi à ces êtres humais aveugles en la beauté. Et comme le Christ, ces imbéciles pullulants n'ont pas su me reconnaître.

Qu'importe? Je n'ai pas besoin d'eux. Je ne les méprise pas, mais ils m'inspirent une profonde pitié. Pas au point d'arraché le diamant pur de mes larmes. Enfin, je suppose que si je possédait la capacité de pleurer, ce ne serait pas le même vulgaire liquide vinaigré que ces monstres de disgrâce.

Il n'ont jamais su suscité mon respect, pour peu que j'ai pu les côtoyer.

Ma passion pour mon image peut éventuellement te laisser penser, lecteur, que je suis une femme superficielle. Tu te fourvoie. Il n'est pas de personne plus naturelle que moi. Je vis nue, et le peu de vêtements que je possède me servent à payer le livreur à mon palier (en effet, je me refuse formellement à la simple perspective de me mêler à la masse fourmillante qui afflue vers ces espaces surchargés dans le seul but de remplir la panse de leur rejetons qui n'en n'ont jamais fini d'être affamés). Je ne me maquille pas, et ne me suis jamais maquillée. L'harmonie de mes traits en elle même surpassent la plus grande des parades artistiques. Au diable tout ces artifices. J'irai même jusqu'à déclamer que je serai tout à fait incapable d'apprécier mon visage maquillé, perdant toute l'authenticité qui me caractérise. Certains d'entre vous appellerai cela la perfection. Trouvant ce terme détestable, car pensant que les idéaux sont relatifs, je ne l'emploierai pas.


Je n'ai jamais été scolarisée. Après une seule et unique expérience, le premier et denier jour d'école primaire, les éducateurs laxistes qui s'occupait de ma personne ont renoncés définitivement à l'idée de m'intégrer à la société, tant j'étais troublée et confuse de cette épanchements bruyants de parents et de gosses dont il aurait été fort difficile de déterminer lequel d'entre eux était le plus incommodant. Et ce miasme, cette immondice : l'odeur d'un être humain. Il n'est pas de parfums plus ignoble, et aucune eau de toilettes n'a de toute évidence su dissimuler la sudation et les sécrétions corporelles diverses de ces pauvres bougres.


Cependant, cette absence d'éducation « scolaire » ne m'a jamais nuit. J'ai appris tout ce que je me devais de savoir en parfaite autodidaxie. Je me suis découverte une véritable passion pour la langue française, mais surtout pour les écrit de Maupassant. Il capte le pathétique avec une adresse rarissime. J'ai trouvé l'étude de l'histoire également fort intéressante, dans la mesure ou aucune mieux que cette dernière me confortait dans ma supériorité. Toute ces découvertes brillantes n'étayeront jamais le pathétique de la souffrance humaine justifiée par tout les motifs possibles. Ce ne fut pas pour mon déplaisir, je trouve la souffrance humaine d'une esthétique incomparable.


Je n'ai jamais travaillé, de peur d'écorcher mes doigts de rose à une tâche avilissante dans le but de gagner une misérable pitance. Et mon absence de qualification théorique ne m'aurait guère mieux réserver. Je survit des aides sociales réservés à ma condition, dans un appartement de 25 m². J'ai un mobilier simple : un lit, un miroir, un téléphone que j'utilise -seule ouverture au technologie moderne- pour commander mes repas. Je sommeille 15 heures par nuit, et je consacre les neuf heures d'éveils restantes à sonder mon miroir. Ma beauté est intemporelle, elle n'est pas flétrissante. Elle s'épanouit, vivante. Elle est l'unique amour de ma vie.

Et je suis heureuse, tellement heureuse. A chaque seconde de mon existence, je jubile de ma chance incroyable, de ma supériorité, et de constater qu'elle n'est pas évanescente. C'est une constante, elle me rend immortelle. Les photographies s'endommagent mais l'impression laissée par la grandeur sur ce monde -aussi impalpable soit elle- seras toujours présente quelque part, enchanteresse. Chaque bouffée d'air que je respire, dans ma vie solitaire et isolée ne seras partagée par aucun autre. Je n'ai jamais ouvert ma fenêtre.


Je me fais souvent l'amour, j'aime me caresser, et le plaisir n'a de cesse d'augmenter avec la connaissance de ma merveilleuse anatomie. Quel homme pourrait me combler de la sorte? Je suis Marie, et pareille à la sainte vierge, j'enfanterai un enfant si parfait qu'on ne pourras que lui assimiler Dieu tout puissant pour père. Je ne fais rien de plus par la masturbation que de prouver mon désir à une présence indécelable et voyeuse.

Alors, où se situe l'histoire? Eh bien il n'y en a pas, et il n'y en a jamais eue. La noblesse de la ligne directrice de mon existence que je viens de vous évoquer ci-dessus, vous ne serai jamais en mesure de la comprendre. Aussi fanatique soyez-vous, je me refuse à admettre qu'on puisse même être capable d'envisager la force de cette amour. Il fut si tranchant, qu'il a remplacé tout les événements qui balance au néant vos vies insipides.

Plus rien ne peut m'atteindre à présent. Je suis invulnérable.


Puis soudain, une douleur puissante afflige cruellement mon bras gauche.


[…]


Didier, infirmier urgentiste de son état, entêté par la rumeur proche de la salle d'attente songeait lascivement à se reconvertir professionnellement parlant quand le standard l'alerta. Il ne savait pas où il devrait se rendre, il n'avait même pas écouté, il était épuisé, ce serait l'affaire du chauffeur. Il songeait plutôt à Mathilde, son épouse, qu'il soupçonnait d'avoir une aventure avec un autre homme. Il l'aimait. Quand le comprendrait t'-elle? En montant dans l'ambulance, il eut une pensée abrasive à l'égard de son épouse « C'est pas moi qu'elle aime, la garce, c'est le désir de deux hommes braqués sur elle, elle s'aime à travers moi et le miroir de mes yeux vieillissants ne lui permet plus d'y entrevoir cette passion inconditionnelle, cette même qui rythmait nos existences mutuelles... Avant ».

Descente de l'ambulance. Vite, le dernier étage de l'immeuble délabré qui n'en comprend que quatre... Des le second une odeur horrible envahit l'infirmier excédé. Il souffle à son collègue, tout aussi écœuré que lui « Je comprend bien que les voisins ait été alerté par cette puanteur, mais je doute qu'on puisse encore faire quelque chose pour ce type ».

Arrivée au palier, l'odeur est devenue tellement insoutenable qu'il renonce purement et simplement à l'idée de respirer par le nez. Leur connaissance olfactive du résident de l'appartement les poussent à forcer la porte sans même prendre la peine de sonner.

Il trouvent un intérieur surprenant. Un lit simple, un miroir rectangulaire à taille humaine. Les seuls éléments trahissant une habitation humaine sont les résidus de nourriture qui jonchent le sol. Et au centre de cet étrange appartement, juste en face du miroir, une énorme masse à forme vaguement humaine, étendue sur le dos, le visage déformée dans une expression des plus parlantes. Il suppose à une crise cardiaque. Il y a environ une semaine, pense t'il.

La morte, dont on suppose à la poitrine tombante qu'il s'agit d'une femme, doit avoir soixante-cinq ans, et Didier ne peut pas s'empêcher de remarquer qu'elle est d'une laideur terrifiante. Le visage difforme, les cheveux grisâtre, et l'obésité n'arrange pas la pauvre femme. Par respect pour la morte, Didier se penche doucement sur elle, et referme ses yeux blanchit.

Pour la première fois, un être humain touchait Marie."





11/04/2010
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