La beauté.



"Je suis belle, ô mortels! comme un rêve de pierre,
Et mon sein, où chacun s'est meurtri tour à tour,
Est fait pour inspirer au poète un amour
Eternel et muet ainsi que la matière."

Et elles l'étaient, éternelles beauté, chacune figée sous la virtuosité d'un peintre, sous le flash attentif et le cadrage avisé de photographes, belles à jamais, certaines de leurs attraits, à l'aube de leur vie, avant que les âges et les aléas de leur périple tellurique vienne affaisser leur traits débonnaires et que diverses meurtrissures symboliques viennent profaner leurs teints diaphanes. Les belles, les enchanteresses, ont par milliers gratifié nos regards d'une aménité luxuriante.
Et moi, moi, la pas jolie, moi, la trop grosse, moi, qui ne sait pas me tenir, je me suis réveillée avec -comment dirai-je ?- une sacrée envie de chier sur un idéal encore chaste. Avouez qu'il est plus distrayant de réserver ses outrages internes à la joliesse-même qu'à ce qui a déjà était traîné dans la vermine.
Mais il est délicat de souiller de son dégoût ce que l'on est incapable de définir en des termes limpides. La beauté, censée exalter les sens visuels, les surprendre à brule-pourpoint, la pupille imperceptiblement humidifiée par cette l'apparition de grâce fortuite, la musicalité du regard et la synesthésie soudaine qui fait d'une simple vision un univers entier, cette même beauté qui brusque l'hémoglobine, cette beauté que nous identifions parfaitement, cette beauté ineffable, infinie et absolue, cette beauté dis-je, n'a pas de VISAGE.
Lui l'a t'ont scalpé ? Peut-être. Il existe autant de beauté que nous n'en avons pas encore découverte. Pire que le subjectif, l'inconnu. La beauté n'a pas d'allégorie. Elle ne se contraint pas, comme la vertu lambda, a se personnifier. Elle est arrogante, froide, et voilée.
La beauté est aussi subjective, et imprégnée et galvaudée par l'abominable donnée qu'est le charme. Quel crédit peut-on lui accorder ? Comment déceler la belle personne sous cet artifice de subtilité ? Il masque encore cette inaccessible idéal.
La beauté, aussi froide soit-elle, masque de par son cil étiré, ses lèvres de roses, l'impassibilité de nos jugements. Et je ne daignerai croire personne prétendant qu'il est insensible à cette douceureuse manipulation. Involontaire, prétendent-ils. Non, car la beauté s'effrite et se construit. La beauté est l'éphémére même. Elle se simule et se corrode à merci. L'harmonie vaut son poids en or (42 kilos, dont le tiers dans la poitrine, voyez-vous ?).
La beauté est martyr. Elle use de nous avec peu d'habilité. Une fois qu'elle nous appartiens, que reste t'il à en exiger ? La beauté est alimentaire ; ils se régalent, avide de sa pulpe, la dévorent de leur mâchoires carnassières, attellent leurs papilles à la lourde tâche qu'est de disséquer sa saveur et ses arrières goût écorchés et souffreteux, puis il la jettent aux vautours. Une beauté n'est jamais suffisante. Peut-être est-ce parce qu'elle ne sait point s'attribuer faciès défini. La beauté est nécessairement schizophrène.
Elle existe pour donner un contraste à l'hideur, mais gardons à l'esprit que l'immondice existe plus surement qu'elle, car elle lui succède très sûrement, et la dernière image que les belles affronterons seras un reflet étiolé et d'une fadeur mortifiante.
Peut-être ne vaut il pas mieux appartenir à cette caste mouvante. Qui se situe de l'autre côté du miroir ? Elles l'ignorent. Qui guette le reflet derrière leur épaule ? Elles ne le savent que trop bien.
Charognes providentielle, gardez-vous de la tentation, offrez-vous la laideur convenue. Le beau est trop chimérique pour être réel, n'est-ce pas ?

"Car j'ai, pour fasciner ces dociles amants,
De purs miroirs qui font toutes choses plus belles:
Mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles!"

Réminiscence baudelairienne.


01/06/2010
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour